Le premier chapitre de “POMPIER, rêve interdit tome II “

Je repense au mois dernier, nous étions si heureux ! C’était le jour de notre mariage, le jour où Sybel m’a annoncé qu’elle portait un petit bout de moi en elle. Je regarde ma montre, elle indique minuit passé. Cela fait plus de 20 minutes que je suis assis seul dans cette salle d’attente d’hôpital, salle dont je hais déjà les murs blancs et son odeur aseptisée ! Je redoute le moment où je vais revoir le visage de mon amour ! Notre bébé sera-t-il toujours au chaud en elle, ou l’aura-t-elle perdu ?

   Tout à l’heure, nous étions si bien chez nos amis de Willer, une ville qui est à environ 30 km de chez nous, quand tout d’un coup Laura, la femme de mon pote Michel, est venue nous rejoindre au salon, où nous dégustions un bon cognac tout en admirant sa superbe collection d’anciens casques de pompiers. Avec un air grave, elle nous a informés qu’il y avait un problème et que Sybel était aux toilettes en train de pleurer parce qu’elle saignait du bas-ventre. À ce moment-là, mon sang n’a fait qu’un tour, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, mon amour était aux urgences du service de maternité le plus proche de là où nous nous trouvions. Maintenant, je n’ai guère d’espoir quant à la suite des événements. Mon estomac se serre à l’idée d’avoir sans doute, pour l’instant, à renoncer à mon nouveau rêve de paternité. Ce petit bout, qui n’a que quelques semaines de vie intra-utérine, mais dont le cœur bat déjà si fort, nous l’aimons si tendrement. Depuis l’annonce de sa présence, il est au centre de quasiment toutes nos conversations… des bruits de pas me tirent de mes mélancoliques pensées. Je regarde vers la porte, mon amour y fait son apparition. J’essaie de lire une lueur d’espoir sur son visage blême où je ne vois qu’angoisse. Je me lève, me dirige vers elle et la serre fort contre ma poitrine. Elle s’y love, passe ses bras autour de mon corps et pleure. J’essaie de ne pas lui faire entendre ma peur lorsque je lui pose la question dont je redoute tant la réponse :

–          Qu’a dit le médecin ?

   D’une voix triste, elle me répond :

–          Qu’un décollement de placenta était possible, ce qui entraîne souvent la fin de la grossesse en cours. Que si cela doit arriver, il faut laisser faire, car c’est une sélection de dame nature. 

   Je suis étonné par l’explication qu’elle me donne ! Comme je veux en savoir plus, je lui demande :

–          Mais il n’a rien vu à l’échographie ?

–          Il ne m’en a pas faite.

–          Ah bon ! Ben, pourquoi ? Je ne suis pas médecin, mais il me semble que c’est le meilleur moyen pour savoir ce qui se passe. Non ?

   Sybel ne me répond pas, elle me sert juste encore plus fort. Après de longues secondes de silence, elle continue de m’expliquer comment s’est passée son auscultation.

–          Si, mon chéri, tu as raison, mais il n’a pas voulu m’en faire une, et cela malgré le fait que je le lui ai demandé. Il m’a expliqué que l’échographie est un acte qui revient cher à la sécurité sociale, alors son chef de service qui est un fervent économe, lui interdit de faire des actes qu’eux jugent inutiles, et comme mes saignements ont cessé, il n’a pas vu la nécessité de me faire une échographie. Il m’a aussi expliqué que le traitement hormonal qu’il m’a prescrit et le repos strict que je dois respecter à la lettre sont les deux seules façons de faire cesser un décollement, et que de faire ou non une échographie ne changeait rien ! Conclusion, nous devons rester dans l’incertitude de ce qui m’arrive ! 

   Je suis effaré d’entendre ce que j’entends ! Comment un médecin peut-il avoir des propos aussi peu humains envers une femme enceinte, qui s’angoisse pour la suite de sa grossesse !? Intérieurement je suis fou de rage, c’est quoi cette médecine de restrictions !? Il est certain que si nous étions à Colmar, dans le service de maternité où bosse ma chérie, cela ne se serait pas passé ainsi, mais bon, nous en sommes trop éloignés pour prendre le risque de la longue route de plus de 60 km qui mène là-bas. Sybel continue dans l’annonce des mauvaises nouvelles :

–          Et puis notre voyage de noces à l’île Maurice, prévu dans neuf jours, et dont nous nous réjouissons tellement, a maintenant, de grandes chances d’être reporté à une date ultérieure.

   Je l’avais oublié celui-là ! Sans même me soucier de ce qui aurait pu être dans d’autres circonstances, une mauvaise nouvelle, je lui réponds :

–          Cela ce n’est pas grave, la seule partie essentielle de notre vie en ce moment, c’est notre futur bébé. 

    Dans cette situation qui, vu l’heure et ma fatigue, ne me semble que désespérée pour notre petit bout de nous, j’essaie de garder espoir et de trouver une connerie à dire pour remonter le moral de ma douce et belle femme :

–          Nous partirons lorsque nous fêterons nos vingt ans de mariage et que notre enfant sera assez grand pour rester seul, à moins que nous ne soyons en train d’attendre un Tanguy et alors nous le ferons pour nos 40 ans de mariage !

   Sybel sort sa tête de mes bras et me sourit. J’en profite alors pour déposer un baiser sur ses lèvres avant de lui dire :

–          Viens, nous n’avons plus rien à faire ici, mais avant de partir de cet hôpital où le budget passe avant les patients, je te fais la promesse que tu ne mettras pas notre bébé au monde ici, même si pour cela c’est moi qui dois t’accoucher comme je l’ai fait pour ta sœur ! Demain matin à la première heure, tu appelles ton gynécologue habituel et tu prends un rendez-vous en urgence. Il est hors de question d’attendre comme cela sans savoir ce qui se passe exactement en toi ! 

     Je garde Sybel contre moi et nous commençons à marcher vers l’ascenseur. En l’attendant et pendant la durée de notre descente, pour réconforter mon amour, je dépose plein de petits bisous sur son visage, sur ses mains et sur ses cheveux. Comme si chacun d’eux était un concentré de force pour elle, je vois de nouveau ses yeux s’éclairer de sa joie de vivre.

    Nous fuyons nous réfugier dans notre appartement où le peu de nuit qu’il nous reste m’est difficile… pas évident de me reposer quand tellement de questions sur votre avenir me triturent l’esprit !

   Dès le lendemain matin, Sybel appelle son médecin, malheureusement elle tombe sur le répondeur qui l’informe que le cabinet est fermé jusqu’à la semaine prochaine, semaine où de toute façon elle a déjà un rendez-vous de prévu. Comme les saignements ont cessé, nous décidons d’attendre patiemment qu’il rentre de vacance et que ma petite femme chérie n’a plus que le droit de marcher pour se rendre du canapé à notre lit ; fini les sorties ou autres occupations qui pourraient la fatiguer. Pour lui simplifier le quotidien, je deviens son servant… chose qu’au bout de quelques jours, je commence un peu à regretter ! Il me faut bien avouer que le stress, ainsi que toutes les hormones qui inondent son corps, cumulés à la prise de son médicament, dont la notice insiste beaucoup sur l’effet indésirable « rend irritable ! » changent son humeur si douce d’habitude, et la rendent quelque peu difficile à vivre. En constatant son changement radical de caractère, je n’ai pas pu m’empêcher de me conseiller à moi-même « mon vieux, fais-toi tout petit, sinon elle va te bouffer »

   Toutes ses demandes incessantes et répétées me font saturer… je me fais réveiller sans ménagement en pleine nuit pour lui chercher de l’eau, mais lorsque, encore endormi, je lui réponds que je lui ai mis une bouteille sur sa table de nuit avant de me coucher, elle m’engueule parce que je ne comprends rien, que ce qu’elle souhaite c’est de l’eau fraîche ; ou bien lorsque je travaille à la maison et qu’elle me fait me lever cinq fois à la suite de mon bureau, alors qu’en me demandant tout en une fois cela aurait été plus simple ! Sans oublier le dernier coup de ce matin, je pars aux courses, mais en arrivant à la voiture je me rends compte que j’ai oublié les sacs, je remonte donc pour réparer mon oubli, jusque-là tout va bien. Je rentre dans notre appartement et me dirige dans la cuisine pour les chercher là où ils sont rangés, c’est-à-dire sous l’évier, et qu’à peine y suis-je arrivé, je me suis fait engueuler comme du poisson pourri parce que j’ai, comme toujours, et sans que cela ne posait problème auparavant, gardé mes chaussures aux pieds ! Hors d’elle, elle m’a expliqué que je devais changer mes habitudes de vieux célibataire qui ne pense qu’à lui, et commencer à me faire à l’idée que bientôt bébé serait là, et que c’est dégueulasse de marcher en chaussures sales là où lui traînera par terre ! Bien sûr, je n’ai rien laissé paraître de mon ras-le-bol, je me mets à sa place, je sais que cette attente dans l’incertitude est plus difficile pour elle que pour moi ; seulement voilà, avant que de réaliser sans cesse ses quatre volontés toute la journée ne me deviennent trop pesant, et que cela ne soit une source de dispute, j’ai préféré trouver une échappatoire, maintenant il me faut lui dire… gloups !

   Je suis en position semi-couché contre l’accoudoir du canapé, Sybel est sur moi, nous regardons une connerie à la télé… faut vraiment pas compter sur cette boîte à images pour nous occuper ! Entre téléréalités qui n’ont de réalité que la connerie humaine des participants, et un documentaire sur un mec qui collectionne les vieux postes de radio en se plaignant que sa femme, sur-fan de Frédéric François, ne le laisse pas en acheter plus par manque de budget ; je m’ennuie comme un rat mort ! Le manque d’activités commence même à atteindre mon moral. Je crois que le moment de lui annoncer ce que j’ai à lui dire est arrivé. Je prends mon courage à deux mains et me lance :

–          Mon amour, il y a un truc dont j’aimerais qu’on parle.

   Son cerveau qui s’est mis en veille pour lutter contre les effets néfastes de la débilité de l’émission qu’elle regarde, fait qu’elle ne bouge pas et me répond juste d’une voix traînante :  

–          Quoooiiii… ?

   Son apathie m’arrange, peut-être ne va-t-elle pas trop méchamment réagir à la suite de ma grande nouvelle !

–          J’ai vu mon chef hier soir pour annuler le reste de mes congés. 

   Ouch… là elle réagit ! Elle se retourne vers moi, plante ses coudes dans mon ventre et pose sa tête sur ses mains, elle n’a pas l’air contente du tout ! J’esquisse un sourire et continue mon annonce :

–          Je reprends mes gardes dès après-demain.

   L’air déçu, elle me demande :

–          Mais pourquoi as-tu fait cela ? Sans même m’en parler en plus ! Tu aurais pu rester avec moi jusqu’au rendez-vous avec le médecin ! Punaise, tu me déçois sur ce coup-là Stéphane !

    En voyant sa déception, je me sens vraiment minable ! Je sais qu’elle porte notre enfant et que ce n’est pas facile pour elle d’être cloîtrée dans notre foyer, je n’ai pas vraiment d’excuse valable, si ce n’est que je ne suis définitivement pas un homme fait pour rester à la maison à servir sa femme, aussi charmante soit-elle ! Je passe en mode belles paroles qui sauvent mon couple d’une dispute que je ne souhaite pas vivre, et lui réponds :

–          Je me suis dit que si j’annulais mes congés maintenant, je pourrais les reprendre plus tard lorsque notre bébé sera auprès de nous, et que je te serai alors plus utile.

   Un tout petit sourire naît au coin de ses lèvres. Elle me répond :

–          C’est vrai que vu comme ça, c’est une bonne idée Stéphane, mais j’aurais souhaité que nous en discutions ensemble avant que tu fasses ta demande à ton chef.

–          Tu as raison, pardonne-moi. J’aurais dû c’est vrai, sur le coup cela m’avait semblé être une bonne idée de procéder comme je l’ai fait… j’ai eu tort ! 

Je dépose un baiser sur sa bouche et… deux jours plus tard, avec plaisir, je reprends mes gardes.


 

2

 

 

 

   Ce matin, en arrivant à la caserne, je retrouve avec bonheur son ambiance… et une part de liberté.

   Tout m’avait manqué ; les différentes sirènes qui égrainent ma journée et m’appellent sur mon véhicule d’intervention, les bips, les rires dus aux blagues vaseuses des collègues, nos conneries d’adulescents, suer sur le banc de musculation… pour vous dire à quel point j’en étais, même l’odeur de panard que Fabien laisse derrière lui aux vestiaires, m’avait manquée ! Mais par-dessus tout, je ressens de nouveau cette sensation qui me prend aux tripes, cette sensation due à l’excitation que procure en moi quasiment chaque départ en intervention, cette sensation qui est comme une drogue et qui fait que les jours de congé, je me sens incomplet. Je me rends bien compte que si l’on venait à retirer cette partie-là de ma vie, je dépérirais vite ! Ce métier coule dans mes veines et est autant essentiel à ma vie que l’est mon sang…